Le truc Turc
- unangedanslemoteur
- 21 mars 2017
- 9 min de lecture
L'entrée en matière
Voilà plus de six mois que la Mercolady crew est sur les routes....aaah ce voyage, que de rebondissements!...et ce, on peut le dire dans tous les sens du terme étant donné les nombreux nids de poule qui jonchent les chemins de quasiment tous les pays que nous avons traversé jusqu'ici.... Et enfin, après avoir quitté la belle Grèce glacée, nous sommes passées en Turquie, oui! Après avoir reçu différents avis sur la question d'y aller ou pas...on a décidé d'aller voir par nous-même ce qu'il s'y tramait...
22 janvier, par un froid mordant nous passons les différents postes de frontière. Les douaniers sont tout sourire à nous voir arriver dans notre super bolide! Ils nous demandent d'ouvrir vite fait l'arrière, et là comme d'hab : "beautiful house!", nous sommes autorisées à passer.
On roule vite, 80 km/h, histoire d'essayer de fuir ces plateaux froids et jamais très jolis des zones frontalières, on traverse des zones industrielles fumantes de charbon, ça embaume l’atmosphère de cette odeur ancienne trop étouffante...
Nous décidons de rejoindre notre amie Bérengère que l'on avait rencontré en Bosnie, on ira donc à Istanbul au retour. C'est partie pour la grande descente direction Antalya, on en a pour environ 1000 bornes.
Et c'est parti...
Pour suivre la route du sud, nous longeons le bras de mer du détroit des Dardanelles reliant la mer Egée et la mer de Marmara. Pour notre première nuit, nous nous éloignons des grands axes et nous arrêtons dans une allée en cul de sac bordée de maisons, face à la mer. Petit village au doux nom de Ören. A peine la cheminée montée, on frappe à la porte. Deux hommes en civil nous disent être les flics du quartier (si l'on comprend bien) et nous demandent nos papiers. Puis, rassurés, ils s'en vont.
Le lendemain, après une révision du camion, nettoyage des brûleurs de notre gazinière dans le sable (n'étant pas adaptées au propane...) et la joie de découvrir une fuite dans notre chauffe-eau, que l'on a certes jamais utilisé, nous repartons...Il y a un beau soleil qui fait plaisir pour prendre la route.
On roule toute la journée en direction d'Izmir où l'on souhaite s'arrêter. Nous dépassons les tracteurs sur les autoroutes, faisons signe aux bergers qui font paître leurs moutons au bord de ces mêmes axes de voies rapides.
Autour, des champs et cultures intensives à perte de vue.
On voit aussi parfois des hommes et des femmes qui font la récolte de choses jetées ça et là par d'autres...plastiques, objets, éléments venant de poubelles ou déposés ça et là par le vent.
Mon esprit fait un pas de côté et je revois les lits de rivière entre la Macédoine et l'Albanie où les arbres peignaient de leurs branches les cheveux d'ordures des hommes, par tonnes...ou plus loin, ayant rejoint la mer Albanaise, où nous avions observé avec impuissance cette mer qui, au lieu d'emporter dans son ressac des pierres, algues et coquillages, emportait des millions de morceaux de plastique, piles, jouets d'enfants, sachets de chips, pièces de télé ou d'ordinateurs, tambours de machine à laver et j'en passe...et qui venaient régulièrement se cogner aux pattes des flamands roses ou se loger dans le bec des pélicans.
Et ce veau que j'avais vu machouiller et engloutir un sac plastique bleu turquoise avec appétit!...
Je secoue ma tête et reviens de ma drôle de rêverie car au même moment, avec Mercolady nous passons sous des nuées de petits oiseaux migrateurs qui volent dans tous les sens suivant des volutes fluides, rapides, sans jamais se choquer, sortes d'immenses vagues volantes parfaites et chaotiques, ce spectacle est toujours impressionnant.
Ah...heureusement il y a toujours du beau, aussi, quand-même, parfois, partout!
Là dessus, nous nous arrêtons pour reprendre du gasoil!!!...et y laisser notre bouchon qui a dû sauter dans la nature suite à trop de vibrations internes et externes! Bon appétit les fourmis!
Arrivées aux abords d'Izmir, l'air est carrément irrespirable, on nous a pourtant parlé de cette ville dont le vieux cœur doit être très beau et qui a une bonne dynamique culturelle, mais les milliers de gens qui s'y chauffent au charbon nous font dire que l'on est de toute façon en retard sur notre planning, allons rejoindre Bérengère dans la nature au plus vite!
Nous passons notre seconde nuit près de Selçuk, sur une plage où il y a un petit bar : le Sahil café. Là nous faisons notre première vraie rencontre avec les locaux, des hommes, de différentes générations. La télé géante gueule son film américain que le petit vieux rigolo, installé à un mètre de l'écran, ne quitte pas des yeux. Nous faisons notre premier petit lexique de vocabulaire turc en sirotant nos bières et en rigolant avec eux...on a appris à dire "lune : ay", "soleil : gunes", "poêle : soba", "bois : odun", "après : sonra", "enchanté", "bonjour", "merci", "demain" etc....puis on part se coucher, après une dernière visite d'usage des flics locaux qui voulaient savoir ce que l'on faisait là "Bin on dort...", "ah ok, bonne nuit", nous nous endormons enfin...
Le jour suivant, c'est la grosse route, on décide de ne plus s'arrêter jusqu'à arriver à notre but : Antalya. On tourne sur le volant, on fait des petites pauses café-turc, thé-turc, une fois on nous propose même une goutte de whisky dedans pour nous réchauffer car de nouveau le froid a repris le dessus, on s'échappe mais il nous cours après et nous rattrape toujours! Le vent fait voler de la poussière de neige sous nos roues et les pluies de flocons s'écrasent sur notre pare-brise, hypnotisant...
Les hauts et bas, les chauds et froids...
A chaque panneau "Antalya", on fait la "ola"...on redescend les derniers plateaux, la dernière fraiche montagne puis enfin on entre dans l'immense ville portuaire, on suit les indications de Béren, alors on doit contourner la ville, et remonter dans une montagne...là, ça grimpe...ça grimpe bien même! On espère qu'on trouvera vite car à force d'être à l'affut du meilleur prix de gasoil, on a fini par passer à côté de la dernière station.
On grimpe donc, toujours plus haut dans ces montagnes gelées, on ne voit pas arriver la pancarte qui nous intéresse, celle de "Gueyikbayiri" et du camping "Kesban", à vrai dire on ne voit pas vraiment de pancarte claire..."a-t-on déjà dépassé Çaklikar?", "on doit suivre Saklikent normalement, non?", "et tu l'as vu toi?", "Ça commence à faire un moment qu'on roule là, ça devait être à 20km après la ville", "oui mais en montagne, les kms s'allongent".... ça grimpe encore, il est plus de 3 heures du matin et nous sommes maintenant complètement dans le rouge....
Le stress et la fatigue commencent à grimper eux aussi, surtout quand tout à coup nous arrivons sur la neige verglaçante...la route scintille...avec notre camione, sans chaînes, on n'est quand même pas très rassurées...surtout dans ces virages en épingle, alors on décide de redescendre un peu et de s'arrêter quelque part. Après un demi-tour bien contrôlé, un chemin tenté puis refusé par la communauté, un patinage bien vénère, une manœuvre avec plaque de désembourbement réussie et quelques suées froides, nous nous posons sur le bord de route et on verra bien demain! Le froid nous pousse tout de même à monter la cheminée, les doigts nous font mal, mais le feu ne veut pas prendre, une rakia s'impose donc! Une pause méritée, et une réflexion sur notre situation nous pousse à tirer une carte de tarot...l’Hermite apparait et nous fait bien marrer...oui, on va se calmer un peu, demain on retrouvera Bérengère et on se posera! Il est 5h quand enfin on se glisse sous les couettes chaudes.
Oranges-mécanique...

Le lendemain, on apprécie le paysage...après étude de terrain et des courbes, mais surtout après avoir demandé notre chemin aux gens qui viennent se faire des barbeuks sur les bords de routes dans la neige, on se rend compte que l'on n'est absolument pas monté dans le bon col, on a loupé un virage quelque part! Nous redescendons donc, telles des valseuses, l’œil toujours plus tendu vers notre jauge d'essence. En chemin nous prenons tout de même le temps de nous arrêter acheter des œufs ("yumurta!"), un élevage de poules, au milieu de nulle part, en plein virage, attire notre attention. L'homme au bord de la route vend ses yumurtas par barquette de 25.
C'est en redémarrant de la paus'oeufs qu'une vieille odeur de cramé nous chauffe les narines. C'est pas bon ça....Mais au bout d'une minute, plus rien, alors on continue. Encore plusieurs virages en descente dans ces beaux paysages, et enfin le plat et la douceur du vent. Sur les bords de la route sont postés des vendeurs et vendeuses d'oranges ("portakal"), on décide de s'arrêter une fois de plus. Mais là, le pied bien enfoncé sur le frein ne répond plus!!! On dépasse quatre ou cinq vendeurs d'oranges avant de pouvoir enfin stopper notre véhicule au frein moteur et à main. Nous descendons, héberluées. Sur le bas côté, des vendeuses d'oranges rient aux éclats quand on essaye de leur demander de l'aide. Y'a pas à dire quand-même, on a bien un ange dans le moteur...
Enfin arrive un jeune homme qui parle l'anglais, il appelle un autre, puis un autre, tandis que les femmes nous offrent des oranges et rient encore. Les gars nous conseillent d'aller doucement jusqu'au village suivant, à Bartili, où il y a un garagiste. Escortées par nos braves gens, on arrive au village suivant mais le garagiste n'est pas là, un coup de téléphone nous apprend qu'il est complètement bourré mais qu'en jetant de l'eau froide sur nos roues et d'attendre 20min, tout ira mieux et qu'on verra demain!
Bon....bah...ah! ...
Il y a une station d'essence juste à côté. Réglons au moins le problème n°1.. On en profite aussi pour remplir notre cuve et tous nos barils d'eau. Les gars de la station sont gentils comme tout (comme tous), ils nous apportent le thé, du chocolat, du bois pour notre "soba Godin"...et nous conseillent vivement de dormir sur le parking car Gueyikbayiri n'est plus très loin, mais y'a encore pas mal de virages, demain il faut trouver un technicien, il peut nous aider. Là dessus, un chien se fait violemment botter sous nos yeux par un chauffard-fou...autre mission sauvetage, on oublie momentanément nos soucis mécaniques. Le chauffard a fait demi-tour et embarque le chien pour tenter de le faire soigner. Crevées, on se pose là, sur la station...on évite de faire un feu... et en clin d’œil à tout ça, on s'achète l'œil turc sensé conjurer le mauvais sort, que l'on accroche au rétroviseur de Mercolady...
Geyikbayiri
Qu'est ce qu'on est heureuses d'arriver enfin à Geyikbayiri! Bien que nous y arrivions de nuit car nous venons de passer la journée entière au garage (qui se trouve au sein d'une énorme zone indus, un quartier immense fait de garages...) afin de changer nos plaquettes de freins (une était complètement pétée en deux hein...) et régler diverses petites choses (on en a profité) : la fenêtre de la porte passager qui ne fermait plus, la porte conducteur qui ne s'ouvrait plus que de l'intérieur, graissages, frottages... le tout sous les regards rieurs mais pas moins complices de la ribambelle de réparateurs et mécaniciens de tous âges qui nous proposent régulièrement le thé..
Et enfin, on rejoint Bérengère et sa bande de climbers de tous horizons. Nous voici garées à la sauvage au camping Kesban....nous en profitons pour prendre une bonne douche sauvage aussi, l'eau qui coule de nos cheveux est noire.
En échange de notre "squat", on propose au camping de jouer notre specatcle dans la semaine, c'est ok et très bien acceuilli!
Entre temps, nous vaquons à de belles occupations : nous faisons un peu d'escalade dans ce lieu magnifique, de petites balades jusqu'aux grottes avec tous les copains : Thomas, Cem, Lidia, Yvan, Ana, Béreng, ...et nous sommes accompagnés de "Roro", le rouge-gorge.
Nous nous délectons des morceaux d'Ogün qui joue du Kemenje, nous sourions avec Öykü, nous rigolons avec Mr Banana...et tant d'autres bonnes bases.
Tous les matins notre camion est le lieu de RV pour le petit déj qui n'en fini jamais, nous descendons en stop jusqu'au marché en bas de la vallée, les oranges sont délicieuses, les gözleme savoureux, les épices agréablement entêtantes, et le soleil est là, ça fait du bien.
Enfin, arrive le soir du spectacle, la salle est comble, il ne se passe pas souvent des choses comme ça dans le coin. Une belle soirée s'ensuit, nous prenons des contacts pour Istanbul.
Après une bonne dizaine de jours passés dans la nature, nous redescendons sur Antalya. On part jouer dans l'hôtel de Semra, artiste vidéaste, maman et maitresse d'hôtel, que nous prenons le temps d'interviewer pour notre émission volet 5 d'Un Ange Dans le Moteur...
Nous rencontrons aussi Charlotte et sa famille, des français installés ici depuis plusieurs années, qui nous ont acceuillis dans leur maison au milieu de leur orangeraie et avec qui nous passons d'excellents moments (à retrouver aussi dans l'émission!) et chez qui nous passons notre éternel rituel : nettoyer nos costumes..
Nous enchaînons pour jouer au Mask café où l'ambiance est à son comble. La nuit s'achèvera au petit matin, bien arrosée de raki, dans un peti bar près du port où l'on rencontre Corto Maltese en personne...certes un peu vieilli et édenté....
Mais quand-même le truc Turc, c'est un grand sourire...
Après ces moments intenses et joyeux, la route nous aspire à nouveau....notre prochaine destination : la Cappadoce....attention!